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Le Wallon à la Chambre des Représentants

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Ciste ouve ci egzistêye eto divins ds ôtès ortografeyes : Feller —  Rifondou.
Le Wallon à la Chambre des Représentants
[ 139 ]
LE WALLON
À LA
CHAMBRE DES REPRÉSENTANTS.

Annales parlementaires.

Séance du 10 août 1895.

M. le président. — À cet article[1] se rattache un amendement de M. Schinler ainsi conçu :

« Ajouter au libellé de l’article 37 les mots : « Encouragements à l’art dramatique et à la littérature wallonne », et porter le crédit à la somme de 176.100 francs.

La parole est à M. Schinler pour développer cet amendement.

M. Schinler. — Mes gins, ji m’va jâser wallon ! (Exclamations et rires.)

Vos l’trouv’rez quéque fèye drole, vos autes, ca vos trovez volti drôle, tot cou qu’est jusse, dè moumint qui çoula vint d’nos autes. [ 140 ]

Mains nosse présidint a riknohou nosse dreut qwand c’est qu’on a jâsé l’ flamind voci po l’prumi côp.

Rapinsez-v’s è bin : ça stou à l’sèance dè 26 di nôvimbe di l’an passé.

Adon puis divins les cis qui ji r’présinte, enne a co trasse et trasse qui n’comprindet wère pus l’fransquillon qui l’wastatte. Et pusqui ji vous fer rik’nohe les dreuts di nosse bon vix lingage, ji jâs’rè comme mi mère m’a appris.

Po bin k’mincî, ji tins à dire qui ji sos lon dè r’gretter les hoppais d’cens qu’on donne po les lîves et les théâtes flaminds : nos caqu’rans todis des mains chaque fèye qu’on frè ’n saquoi po l’bin dè peûpe. C’est qui, à costé di nos frés Flaminds, nos avans nos frés Wallons.

On n’el deut nin roûvî.

Ji creus qu’affaire di Sociètés d’littérature, on fait à pau près po onque comme po l’aute.

Mains â fait d’théâtes, ci n’est wère li même jowe.

On n’accoide qui qwatte pitits houlés mèyes di francs âx Wallons, dismetant qu’âx Flaminds, on fait l’pârt belle et lâge : 22.000, c’est leu lot ! On donne 500 francs a onque di nos théâtes wallons et so c’timps-là, 8.000 ennè vont â Théâte flamind d’Brusselles, 5.000 â ci d’Anvers et 5.000 â ci d’Gand, sins co compter les à-bon-dreut des Sociètés qui n’mâquet nin di les r’clamer et qui l’atrappet tos côps bons.

Ji n’a nin co jâsé di l’académèye flaminde qui rascôye 19.000 francs, et dès vîx papî scrits è flamind qui costet tos l’s ans 5.000 francs à [ 141 ]l’Belgique. (M. Coremans, entrant dans la salle, vient se poser devant l’orateur. — Hilarité générale, à laquelle prend part M. Schinler.)

M. Coremans.Ne vous moquez pas de vous-même : continuez !

M. Schinler. — Est-ce tôt ?

Oh ! nenni ciette ! I n’a l’gômâ des primes â fait d’piéces di thèâtes et, po l’bouquet, li fameux dictionnaire qu’on fait è l’Hollande. On dit qui c’est on clappant ovrège ; c’est bin possibe : ji n’y veus qu’dè feu. Mains mâgré çou qui pauye avou d’bon, i n’est nin mâva qui vos savéhe çou qu’i cosse.

Noss binamé minisse… (Hilarité.)

M. Hoyois. — C’est du neuf ! Cela ne se dit qu’en wallon, paraît-il, quand c’est un membre de l’opposition qui parle. N’importe, l’honorable ministre doit être charmé du compliment !

M. Schinler. — Nosse binamé minisse a bin volou m’rimette on p’tit papî so c’question-là et ji veus qui l’Hollande suppoite les deux tîsses des frais et nos autes l’aute tîsse.

Li mons qu’on-z-âye dinné, ç’a stou 4.000 francs, volà deux ans. L’an passé on-z-a payî 6.000 francs et ciste anneye 7.000 francs. Dispôye 1852, adon qu’on l’a k’mincî, i nos a costé 65.500 francs. C’est on haitî patârd, èdon ? Et ji ma co lèyî dire qui çoulà alléve durer.

On pout acertiner qui po l’joû d’hoûye, li Flamind nos r’vint, so ine an, à 60.000 et dès. Et so c’timps-là, li Wallon ramasse mâlâheyemint [ 142 ] li meskèyowe âmône di 4 à 5.000 francs l’annêye !

C’est trop pau d’choi.

On fait pus d’onque qui d’l’aute et ci n’est nin jusse.

On n’pou nin continuer à d’ner les crâssès tâtes âx Flaminds, et qui l’Wallon d’meur là po dè pan tot sèche.

Si disqu’à c’ste heûre i n’a co nouque qu’âye songî à mette li deugt so l’plâye, torate elle si va èvêlmi.

Il est timps qu’on s’el dèye : Si l’affaire si porsût comme on l’a miné disqu’à c’ste heure, li jeu k’mince à flairî, et i toun’rè à chin. (Rires.)

Rit’nez bin c’raison là !

Li Wallon aime ottant s’vîx lingage et ses auteurs et ses théâtes qui l’Flamind aime les sinnes.

Et à m’sonlant, i n’a rin d’pus bai qu’çoula, d’on costé comme di l’aute. Aidî l’peûpe à wârder et à rinde todis meyeux ses p’tits honiesses plaisirs, c’est li warranti l’caractère qu’il a d’bai, tot li acertinant dè l’franque jôye ossi sovint qu’à s’tour.

C’est po coula qui nos estans d’accoird so çou qu’on fait po les Flaminds. Nos avans por zels li meyeux coûr dè monde, et ji pinse qu’is nos l’rindet bin.

Nos n’ volans nin qu’on ’lsî r’sèche ine aidant. Mes k’pagnons et mi, nos vôtrans reutaballe çou qu’est promettou po l’Tîhon. (Hilarité.)

Mains nos comptans bin qui vos n’frez nou [ 143 ]bastâ, Pôce â haut, v’ rik’noh’rez qui les scriheus wallons rappoirtet zels ossi honneur et gloire â pays. Qui nos feus d’pieces et nos sôciètés d’thèâtes mèritet d’esse èccorègis comme les autes po l’bin qu’is fet â peûpe. Nos préchans l’bon accoird inte Flaminds et Wallons ; il ont l’ minme mésâhe di jôye et d’plaisir, et i n’ sont nin pu riches onque qui l’aute, po s’ lès pajî ossi sovint qu’is vôrit bin — et qu’i fâreut po bin aller.

Nos avans chache di veuye li gouvernemint aidî nos frés dè plat pays à s’rikfoirter l’esprit grâce âx bais lîves, âx bons thèâtes.

Mains l’peûpe wallon a ottant qu’zels mèsâhe di bons aksègn’mints et d’honiesses plaisirs. Et ji creus qu’on sèrè d’accoird po-z-aidî et poz-è-coregî dè l’ même manîre les scriheus et les sociètés des Wallons et des Tîhons.

Cès-chal ont assez d’coûr et leus r’présintants assez d’esprit po jugî qu’ja raison. Li spot dit : « Fez bin, vos ârez bin ! » Ci sèrè m’dièrin mot. (Très bien ! à gauche et sur certains bancs à droite.)

M. le Président. — Étant Wallon moi-même, j’aurais mauvaise grâce à me plaindre de ce que cette langue, très harmonieuse pour moi, soit employée au Parlement. (Très bien ! à gauche.) Je crois cependant devoir faire remarquer à l’honorable M. Schinler et aux autres membres qui voudraient l’imiter que, si l’on prenait l’habitude de se servir ici de cette langue, les divers services de la Chambre pourraient s’en trouver fort désorganisés.

[ 144 ]

M. Schollaert, ministre de l’intérieur et de l’instruction publique. — Messieurs, si l’honorable membre ne comprend pas le flamand, je crois avoir compris ce qu’il a dit en wallon. Il se plaint de ce que le théâtre wallon aurait reçu des subsides beaucoup moindres que les différents théâtres flamands du pays. Il a reconnu, pour ce qui concerne la littérature wallonne, que celle-ci n’a pas été traitée moins généreusement que la littérature française ou la littérature flamande, mais il propose de majorer le crédit, de manière à pouvoir accorder des subsides plus considérables au théâtre wallon. Si ces subsides étaient nécessaires, l’honorable membre pourrait recevoir satisfaction, sans pour cela modifier le chiffre du crédit porté au budget. En effet, le chiffre est un chiffre global, qui se trouve réparti d’après les besoins et selon les demandes adressées au gouvernement. Il y a trois théâtres flamands subsidiés par l’État : un à Bruxelles, un à Anvers et un à Gand, tandis qu’il n’y a qu’un seul théâtre wallon, à Liège. Il est donc très compréhensible que les subsides donnés aux trois théâtres flamands soient supérieurs au subside alloué au seul théâtre wallon. Si le subside alloué au théâtre de Liège paraît insuffisant, rien ne s’oppose à une autre répartition du crédit[2]. Celui-ci suffit amplement pour l’encouragement des arts et des lettres et il serait inutile d’en majorer le chiffre : je n’en [ 145 ]aurais pas l’emploi. Ce crédit global s’élève à 39.000 francs.

Quant au dictionnaire flamand dont l’honorable membre a parlé, c’est une œuvre très importante qui a été entreprise en Hollande. Comme l’honorable membre l’a fait remarquer, les deux tiers de la dépense sont supportés par la Hollande, tandis que la Belgique n’en supporte que le tiers. Douze membres de la commission de rédaction sont Belges. Ce sont tous des hommes très compétents en cette matière. L’œuvre est véritablement intéressante tant pour notre pays que pour la Hollande : à cet égard, il n’y a pas de critiques à élever. Ce « Woordenboek der Nederlansche taal » est publié à Amsterdam. Je ne sache pas qu’on ait, jusqu’ici, entrepris dans le pays de Liége un dictionnaire de vieux dialecte liégeois[3]. Je dis dialecte, ce qui n’a rien de désobligeant pour les Wallons.

Cependant, l’autre jour, j’ai eu le malheur de dire dans cette Chambre que le flamand est une langue, tandis que le wallon n’est qu’un dialecte[4] ; depuis, j’ai reçu de Liége, sous forme [ 146 ]de petits journaux, les observations les plus sévères. Mou honorable collègue, M. Coremans, qui avait osé dire que le wallon était un patois, a été traité beaucoup plus mal encore. (Rires.) Aussi, serai-je désormais très circonspect. (Nouveaux rires.)

Comme ministre de l’intérieur, je désire donner satisfaction aux observations de l’honorable membre et traiter sur un pied d’absolue égalité tous les Belges, quelle que soit la langue ou le dialecte qu’ils parlent ; mais je prie l’honorable membre de ne pas insister sur son amendement, car je ne saurais que faire du crédit que la Chambre mettrait à ma disposition : je dispose d’un crédit global suffisant pour répondre à tous les besoins.

M. Schinler. — Dans ces conditions, je retire mon amendement.

M. Coremans. — J’ai quelques observations à présenter à l’occasion du discours que vient de prononcer M. Schinler.

Chacun donne ce qu’il peut ; soit ! c’est fort bien. (On rit.)

J’ai écouté avec grand plaisir le discours patois de l’honorable membre. (Protestations à gauche.)

M. Hoyois. — Vous dites « patois », nous disons « wallon ».

M. Coremans. — Vos langages wallons sont des patois du français[5]. (Nouvelles protestations à gauche.)

[ 147 ]

Des membres à gauche. — C’est le flamand qui est un patois !

M. Coremans. — Vous faites une confusion qui provient de votre ignorance : personne n’est polyglotte à gauche.

M. Destrée. — On pourrait appeler aussi un patois le français que vous parlez parfois ici !

M. Coremans. — Les décadents sont de mauvais juges. C’est tout au plus, Messieurs, si, à côté de votre patois, vous connaissez plus ou moins le français. (Exclamations à gauche.)

M. Fléchet. — Nous connaissons des membres de la gauche qui parlent quatre et cinq langues.

M. Coremans. — Rara avis ! Il en est maintenant parmi vous qui préfèrent le patois — et pour cause — à la langue littéraire. (Nouvelles exclamations à gauche.)

Vous n’avez rien à nous apprendre. Le meilleur de vos patois wallons est celui de Liége, parce qu’il est mêlé de beaucoup d’éléments thiois[6]. Je vous renvoie, sous ce rapport, à [ 148 ]une brochure intéressante de M. Bormans, professeur à l’Université de Liége, il y a quelque quarante ans. (Bruit à gauche.)

Faut-il pousser, avec l’argent du fisc, à l’encouragement et au maintien des patois ? Je ne le crois pas. Nous avons, nous, Flamands, des patois plus nombreux que les vôtres et d’innombrables amateurs qui s’y appliquent[7]. Il y a des chansons, des vaudevilles, des contes, même des drames en patois flamands. La Flandre Occidentale, la Flandre Orientale, la province d’Anvers, le Brabant, le Limbourg ont des patois distincts : chaque patois compte de nombreux amateurs qui ont fait — et très bien et avec succès — de la littérature de patois. Mais jamais il n’est entré dans l’esprit de personne d’entre nous de demander des subsides pour chacun ou aucun de ces patois. Cependant nos patois devraient l’emporter, comme nombre[8] et comme mérite, dix fois les vôtres dans ces octrois de subsides !

[ 149 ]

Il y a, en Belgique, deux langues littéraires : le français, qui est votre langue ; et le flamand ou néerlandais, qui est la nôtre[9].

M. Schinler. — En Belgique, il n’y a qu’une seule langue : c’est la langue française.

M. Coremans. — Votre lecture de tantôt était donc une lecture de langue française ? (Rires.) Tâchons d’être sérieux.

Vous êtes un fantaisiste, M. Schinler, en vous imaginant que le patois de Liége est la langue du midi de la Belgique. Oui, vous vous trompez étrangement ! À Namur, à Charleroi, à Tournai, à Mons, il y a d’autres patois wallons que le vôtre. La vérité est que c’est la grande et belle langue française qui est la langue littéraire du midi de la Belgique.

Laissons les patois aux amateurs et au foyer domestique. C’est très bien ! Mais ne sacrifions pas l’argent du trésor à encourager des exercices littéraires dans n’importe quel patois…

M. Schinler. — Ne parlez pas flamand, nous ne parlerons pas wallon.

M. Coremans. — Où est l’analogie ? Qu’y a-t-il de commun entre la langue littéraire flamande et les patois wallons ? (Hilarité.) Il est étrange de constater combien ces Messieurs de la gauche connaissent peu ce qui touche à la linguistique[10]. (Interruption.) [ 150 ]Parlons-nous jamais ici ou le patois d’Ostende, ou celui de Gand, ou celui d’Anvers, ou celui de Hasselt, ou celui de Bruxelles ? Avez-vous jamais entendu un Bruxellois dire ici : « Klasj op â koôk » ou « Doed â mousj af ? »[11] (Longue hilarité.) Pourquoi venez-vous nous parler ici de « gouvernemint » et d’ « amindemint » au lieu de « gouvernement » et « amendement » ?[12] Ne vous donnez plus pareil ridicule. Nous nous en couvririons de même si nous suivions votre exemple[13].

Sachez donc, une fois pour toutes, que, loin d’être restée ou de n’être encore qu’un patois, la langue néerlandaise est plus ancienne que le français[14]. Nos pères ont écrit, dans cette langue, des chefs-d’œuvre et notamment le fameux Reynaert de Vos, remontant à 1170 : chef-d’œuvre alors, chef-d’œuvre aujourd’hui, chef-d’œuvre dans tous les temps ![15] Le français n’était pas né sur les bords de la Seine, que déjà nous avions, en Belgique, une littérature flamande comptant des chefs-d’œuvre. Et cela n’a jamais cessé : chaque [ 151 ]siècle a produit des chefs-d’œuvre en langue néerlandaise[16]. Où sont les vôtres ?

M. Hoyois. — Que parlait-on au XIIe siècle ?

M. Goremans. — Flamand[17] en pays de Flandre ; en France, divers patois dérivés de la latinité rustique, et c’est de ce patois qu’est née plus tard la grande et belle langue française.

Ne vous imaginez pas, Messieurs, que vous fassiez œuvre de progrès en introduisant dans le Parlement un patois de langue française. Si, au Parlement de Paris, on en faisait autant ; si Gambetta y avait parlé son patois de Cahors et d’autres orateurs les patois de leurs départements éloignés, je me demande où en serait l’éloquence de la tribune française ?

Je suis curieux de voir aux Annales l’orthographe de M. Schinler ; ce sera, sans doute, quelque orthographe absolument personnelle, à « nulle autre seconde », car M. Schinler n’a, dans son patois, ni dictionnaire, ni grammaire [ 152 ], ni règles d’orthographe ayant quelque autorité. (Interruptions.)[18]

Le contesteriez-vous ?

Messieurs, je ferai une dictée à toute la gauche wallonne, M. Hoyois compris… (Hilarité générale.)

M. Hoyois. — Je ne suis peut-être pas tout à fait de la gauche, M. Coremans. (Nouvelle hilarité.)

M. Coremans. — Je dis «  vous compris  », qui êtes un Tournaisien de la droite. Je dicterai un texte, en wallon, à vous tous, et je suis certain que pas deux d’entre vous orthographieront les mêmes mots de la même manière. (Bruit à gauche.) Je vous défie d’accepter cette épreuve ! Vous n’oseriez pas ! (Nouveau bruit.) Elle tournerait à votre confusion. Laissez donc là vos patois ; ne demandez pas qu’on les subsidie. Nous applaudissons aux encouragements de la littérature française, tout en exigeant les mêmes encouragements pour notre littérature flamande ou néerlandaise. Ne sommes-nous pas la majorité dans le pays ?[19] N’avons-nous pas, à tous égards, un passé plus brillant que le vôtre ? (Protestations à gauche.) Nous sommes plus instruits que vous[20]. [ 153 ](Vives protestations et interruptions à gauche.) Les insanités collectivistes n’ont pas prise sur nous ! Notre histoire est plus glorieuse que la vôtre ! Quand nos populations flamandes avaient le courage de se soulever contre la tyrannie de nos seigneurs, les comtes et les ducs, vous acceptiez, vous, Wallons, tous les jougs et vous vous faisiez, trop souvent contre nous, les serviteurs de l’étranger ! (Nouvelles protestations.)

M. Hoyois. — C’est de l’histoire… « Coremanesque » ![21]

M. Coremans. — Encore une fois, n’exigez pas pour vos patois les droits que nous réclamons pour notre langue littéraire. Soyons justes : ayez des subsides pour votre littérature de langue française, mais n’en réclamez point pour votre patois de Liége, pour votre patois de Namur, pour votre patois de Charleroi, pour votre patois de Mons, pour votre patois de Tournai : ce serait un comble de sottise. (Interruptions à gauche.)

J’exagère, crie-t-on de différents bancs. Oui, j’exagère, je le sais bien, mais c’est pour vous faire sentir d’autant mieux l’insanité des prétentions [ 154 ]qui commencent à se faire jour. Vous êtes au commencement d’une campagne : à l’alpha, en route pour l’oméga. Est-ce assez ridicule ?

Je demande à l’honorable ministre de l’intérieur de cesser d’accorder des subsides aux patois wallons.

M. Schinler. — Et au flamand également !

M. Coremans. — Il ne faut subsidier aucun patois, ni flamand, ni français. Ce sont les deux langues littéraires, flamande et française, qu’il faut encourager, et non pas les patois.

Je rappelle la Chambre au bon sens !

M. Schollaert, ministre de l’intérieur et de l’instruction publique. — Il me paraît pénible de voir se perpétuer cette discussion, surtout si elle doit s’envenimer. Une grande partie de nos concitoyens parlent wallon. Il y a des pièces écrites en wallon et qu’on dit très goûtées par les gens qui les comprennent. (Interruption de M. Coremans.)

L’honorable M. Coremans peut, à ce sujet, professer telle opinion qui lui convient ; mais je ne cesserai pas de marcher dans la voie suivie jusqu’ici par mes prédécesseurs.

M. Coremans. — Par un seul.

M. Schollaert, ministre de l’intérieur et de l’instruction publique. — Dans la question d’encouragement à l’art dramatique wallon, qui est un art local pour les Liégeois, je ne me refuse pas de soutenir les efforts qui seront faits. (Interruption de M. Coremans.)

[ 155 ]

Je ne puis être suspect à l’honorable membre, puisque je suis un Flamand très convaincu. Je désire que tous mes concitoyens de la partie flamande du pays connaissent parfaitement leur langue maternelle. J’en donnerai une preuve nouvelle dans un instant en demandant à la Chambre de majorer le crédit porté à l’article 39 du budget, afin de permettre à l’Académie flamande de développer ses sections.

M. Coremans. — Ce n’est pas en faveur d’un patois, cela !

M. Schollaert, ministre de l’intérieur et de l’instruction publique. — Je ne considère pas comme faits en faveur d’un simple patois les efforts qui se font dans le pays de Liége.

Certes, une pièce jouée en wallon offrirait peu d’intérêt pour moi ; mais, nous n’avons pas à tenir compte seulement de notre appréciation personnelle, mais de celle de nos frères wallons ; ils y trouvent du charme et de l’agrément et c’est pourquoi je continuerai à subsidier le théâtre de Liége, aussi bien que les théâtres flamands de Bruxelles, Gand et Anvers.

M. Coremans. — Il ne faut pas subsidier les patois : c’est œuvre de recul !

M. Schollaert, ministre de l’intérieur et de l’instruction publique. — Je dis ce que je ferai ; il appartiendra à la Chambre de décider, mais je persévérerai dans la voie qu’a suivie mon honorable prédécesseur et j’encouragerai [ 156 ]au moyen de subsides les différents efforts faits soit en wallon, soit en français, soit en flamand. (Très bien ! sur tous les bancs.)

M. Fléchet. — Je tiens à protester contre le langage indigne de l’honorable M. Coremans.

Comment ! l’honorable M. Schinler n’a eu pour les Flamands que des paroles de sympathie et de concorde ; il a été d’une courtoisie rare ; il a été surtout très aimable envers les Flamands ; aussi, je ne comprends pas comment l’honorable M. Coremans a pu proférer à l’adresse des Wallons les injures que vous avez entendues. Voici, en effet, quelques-unes des expressions dont il s’est servi « les Flamands sont plus instruits que les Wallons et le passé des Flamands est plus glorieux que celui des Wallons ».

M. Coremans. — C’est vrai !

M. Hoyois. — Il a oublié, notamment le passé des Tournaisiens. Il ne s’est pas rappelé, entre autres choses, l’entrée des Tournaisiens à Jérusalem, lors de la première croisade. Ils y ont précédé les Flamands et même Godefroid de Bouillon.

M. Fléchet. — Il a, de plus, prononcé des paroles, que, à mon avis, notre honorable président aurait dû relever. Il a dit à M. Schinler ces mots : « Les sottises que vous prononcez ! » Il n’y a pas de sottises dans le langage de M. Schinler ; en parlant wallon, il a voulu affirmer son droit et notre devoir était de le faire.

[ 157 ]

M. Coremans. — Il y a sottise à subsidier les patois !

M. Fléchet. — On se rappelle l’incident produit par l’honorable M, De Vriendt qui, usant de son droit, a parlé flamand à la fin d’un débat important dont tout le monde devait saisir les moindres détails, embrouillant encore une discussion déjà difficile.

Aujourd’hui, parce que, sur un article, un seul, du projet, l’honorable M. Schinler parle wallon pour affirmer, je le répète, un droit, il est l’objet d’injures de la part de M. Coremans, alors qu’il n’avait eu pour les Flamands que des paroles de sympathie. Ainsi je proteste énergiquement au nom de tous les Wallons. (Approbation à gauche.)

M. Coremans. — N’introduisez pas les patois ici : c’est trop ridicule.

M. Van der Linden. — À la différence de l’honorable ministre, je n’ai rien compris au discours wallon de l’honorable M. Schinler ; je tiens à montrer que je ne lui en garde pas rancune. Si l’honorable ministre ne lui avait déjà donné satisfaction entière, — il le reconnaît, je pense, — je me serais rallié, du moins en principe, à son amendement. Je considère les sociétés de littérature wallonne qui se sont formées dans différentes parties du pays comme ayant pour but de développer l’originalité locale, et, par conséquent, de fortifier l’esprit national. C’est dans ce sens, si je ne me trompe, que M. Schinler a fait son amendement, et je ne puis que l’approuver. (Vive approbation.)

[ 158 ]

M. Hoyois. — Très bien ! Dans nos provinces wallonnes, la vraie littérature populaire, c’est de la littérature wallonne ! (Adhésion.)

M. Destrée. — Je constate avec grand plaisir que la Chambre tout entière paraît avoir des idées plus larges que celles de l’honorable M. Coremans. Il a apporté ici un langage passionné, véritablement méchant et mauvais ! (Très bien ! sur plusieurs bancs.)

M. Coremans. — Oh ! Oh !

M. Hoyois. — Ses paroles ont dépassé sa pensée.

M. Fléchet. — J’ai rappelé ses expressions.

M. Destrée. — Je m’associe aux protestations de l’honorable M. Fléchet. La Chambre n’a pas à trancher une question de philologie ni à décider s’il faut placer le wallon dans la catégorie des langues ou dans celle des patois. Nous ne sommes pas une académie des belles-lettres et nous n’avons pas à rechercher ici si le wallon possède une grammaire, une orthographe, etc.

M. Schinler. — Il y a des grammaires wallonnes et une orthographe wallonne comme il y a des grammaires flamandes et une orthographe flamande. (Adhésion.)

M. Destrée. — Comme l’honorable ministre l’a dit, en voyant les choses beaucoup plus largement que l’honorable M. Coremans, le wallon a produit dans notre Belgique des [ 159 ]pièces de théâtre d’une réelle verdeur, d’un grand mérite, qui ont de rares qualités d’observation, d’esprit et d’humour. Il est absolument juste de les encourager, comme l’honorable ministre a promis de le faire. (Très lien !)

C’est un mauvais langage, Messieurs, que d’essayer dans un pays où nous avons déjà trop de sujets de division, d’établir entre nos deux races nationales des comparaisons désobligeantes pour l’une d’elles, soit au point de vue de l’instruction ou de l’intelligence, soit au point de vue de leur passé. Les Wallons peuvent parfaitement supporter la comparaison avec les Flamands. Si nous opposions l’histoire des provinces wallonnes ou celle de la province de Liége à l’histoire des Flandres, nous aurions aussi maints hauts faits à citer à l’honneur des Wallons.

M. Hoyois. — L’histoire des Tournaisiens vaudrait bien celle des Flamands.

M. Smeets. — Halte-là, les Tournaisiens sont là (Rires.)

M. Destrée. — Il n’est que juste de traiter Wallons et Flamands de la même façon et de les mettre sur le même pied au point de vue des subsides.

Il est assurément piquant de constater que c’est un socialiste internationaliste belge, moi, qui doit vous rappeler au sentiment de notre nationalité belge !

Je pense que M. Coremans et ses amis de la [ 160 ]droite, qui abusent constamment de ce mot de patrie, font ici une œuvre de séparation et de désagrégation de notre pays, qui a déjà assez de motifs de division. Il nous paraît funeste d’exciter les uns contre les autres les Wallons socialistes et les Flamands cléricaux et mieux vaudrait éviter ces parades, passez-moi le mot ! Elles sont, d’ailleurs, sans écho dans le pays comme dans cette Chambre, qui parait unanime pour approuver une attitude comme celle de M. Schinler et les déclarations du ministre de l’intérieur. (Approbation à gauche.)

M. De Vriendt. — Le pays a tout à gagner au développement de la langue et de la littérature.

M. Smeets. — Je me joins, Messieurs, aux protestations légitimes qui se sont élevées sur les bancs de la Chambre contre les paroles véritablement outrageantes de M. Coremans à l’égard des Wallons.

Je ne veux plus relever qu’une seule phrase de son discours et en tirer conclusion. Si, au Parlement français, les députés des différents départements venaient parler chacun leur patois, comment, s’écrie M. Coremans, arriverait-on à s’entendre et combien cela ne ridiculiserait-il pas la Chambre française ! Messieurs, je suis parfaitement d’accord avec M. Coremans, et ce que nous avons voulu faire, c’est précisément de vous montrer que, si chacun voulait ici parler la langue qu’il préfère, combien seraient grandes les difficultés [ 161 ] ! M. le Président l’a justement fait remarquer à la fin du discours de notre ami Schinler ; ce serait désorganiser complètement les travaux de la Chambre. Il y a ici trois ou quatre sortes de Wallons parlant tous différemment : Comment faire pour les Annales pour le Compte rendu analytique ? Comment prendre part aux discussions contradictoires qui doivent forcément surgir dans cette Chambre ? Les orateurs devraient écrire à l’avance leurs discours et ceux qui devraient répondre, attendre que les Annales aient paru pour répondre ; en un mot, ce serait une véritable tour de Babel !

C’est pourquoi nous avons le droit de protester quand des Flamands sachant parfaitement parler le français parlent ici leur langue et de dire qu’ils manquent de courtoisie pour une partie des membres de la Chambre, qui n’y entendent rien. Je comprendrais qu’un ouvrier flamand, — c’est une supposition que je fais, — que l’honorable M. Huyshauwer, par exemple, ne sachant pas, comme il le voudrait, s’expliquer en français, s’exprimât en flamand et je suis d’avis qu’il devrait, dans ce cas, être écouté et respecté par la Chambre ; mais, ce que je n’admets pas, c’est que, de parti pris, pour parader devant leurs électeurs, des membres sachant parler le français, ayant fait des études supérieures, viennent s’exprimer dans une langue que nous ne comprenons pas, oubliant ainsi les règles de la bienséance et de la plus élémentaire politesse. Je me l’explique d’autant moins que ce procédé se fait jour [ 162 ]précisément au lendemain du jour où le suffrage universel a envoyé siéger ici des ouvriers dont l’instruction, faite à l’école primaire, — la grande négligée des pouvoirs publics ! — ne leur permet d’apporter ici, en fait de science, que ce que, vous, les privilégiés, vous avez bien voulu leur céder, alors que, quand siégeaient ici des bourgeois doctrinaires, qui, au même titre que vous, avaient pu fréquenter les universités, vous n’aviez jamais pensé à employer votre langue !

M. le Président. — Veuillez ne pas entrer dans cet ordre d’idées, M. Smeets.

M. Smeets. — Pardon ! M. le Président, vous avez permis à M. Coremans de s’exprimer sur ce point.

M. le Président. — Je vous demande mille pardons ! On a discuté la question des littératures flamande et wallonne, mais vous parlez maintenant de l’emploi des langues au Parlement, ce qui est une tout autre chose et ne rentre pas dans l’article 37 du budget.

M. Smeets. — Vous avez permis qu’on parlât à l’occasion de cet article du Parlement français et qu’on employât, en parlant du wallon, les mots de « ridicule » et de « parade ».

Si parade il y a, ceux qui la font sont ceux qui emploient le flamand alors qu’ils savent le français. Ce n’est pas en parlant le flamand qu’on portera remède aux maux dont souffrent les Flandres ! J’estime que l’on avancera beaucoup plus vite dans la voie des réformes en employant ici, dans la mesure du possible, la [ 163 ]langue française : mais, si on veut continuer à suivre le système qu’on a inauguré et parler ici le flamand dans le but unique de nous contrarier, usant de représailles, nous vous déclarerons nettement que, forts de notre droit, de notre côté nous parlerons le wallon !

M. Coremans. — Allez-y gaiement !

M. Smeets. — Eh bien, gaiement nous le parlerons et nous verrons lequel de nous deux sera le plus vite fatigué à ce jeu !

M. le Président. — L’amendement étant retiré, je mets l’article aux voix.

— L’article 37 est adopté.

(Extrait des Annales parlementaires de Belgique. — Chambre des Représentants. — Session législative ordinaire de 1894-1895, pages 2564-2567 et 2589-2590).

  1. Chapitre X. Sciences et lettres. — Art. 37. Subsides et encouragements littéraires et scientifiques.
  2. Nous en prenons bonne note.
  3. La Société wallonne va entreprendre ce dictionnaire. Elle se souviendra de la promesse de M. le Ministre.
  4. Nous n’avons jamais protesté contre le mot de dialecte, mais contre celui de patois, qui est faux. Nous préférons le mot langue que l’on emploie sans protestation pour la langue provençale. Voir notre brochure : Le Wallon est-il une langue. Extr. du Congrès wallon de Namur 1891. (Notes de Julien Delaite.)
  5. M. Coremans ne sait même pas la signification du mot patois, qui est une langue corrompue. Notre wallon est un dialecte qui a eu un temps d’arrêt dans son développement, contrairement au dialecte de l’Île de France qui s’est développé et a donné la langue française actuelle, non sans emprunter des matériaux aux autres dialectes romans. La langue provençale n’est pas plus un patois que notre wallon. (Voir ibid.) germaniques et non exclusivement thioises (Liége, la Wallonne, congrès archéologique de Liége 1890). M. Bormans cite un certain nombre de ces racines, sans conclure quant à la proportion.
  6. M. Coremans ne sait ce qu’il dit. J’ai prouvé que le wallon contient au grand maximum 5 % de racines
  7. Ce sont là de vrais patois ou langues corrompues, à moins que l’orateur n’entende, à la suite d’une confusion intéressée, les restes des différents dialectes qui fleurissaient jadis en pays flamand comme partout ailleurs.
  8. Et plus loin l’orateur maintient qu’on n’a jamais parlé qu’un flamand, même au XIIe siècle. On n’est pas plus… savant !
  9. La Hollande s’est moquée du flamingantisme.
  10. Retournez-vous de grâce !
  11. C’est moins que du patois ceci, c’est de l’argot.
  12. Quel toupet pour l’admirateur des statie et des administratie !
  13. Vous y avez certes complètement réussi. (Voir notre article sur le Flamand aux Chambres dans le dernier Annuaire.)
  14. C’est comme si l’on soutenait que la poule sort adulte des entrailles de sa mère pans passer par l’œuf.
  15. Et surtout chef-d’œuvre local.
  16. C’est bien dommage que l’énumération en manque ici.
  17. Il ne faut pas avoir la moindre notion de linguistique ou même d’histoire pour soutenir un instant que dans n’importe quel pays un peu étendu, on parlait au moyen-âge une langue littéraire complète. Tout le monde sait, au contraire, que les espèces dialectales étaient nombreuses et variées.
  18. M. Coremans oublie que son « flamand » n’avait pas d’orthographie sérieuse et unique il y a quelque quarante ans et qu’il a fallu un arrêté gouvernemental pour l’établir et l’unifier.
  19. Non.
  20. Quel puffisme
  21. Non seulement coremanesque, mais burlesque. Les révoltes des Liégeois, aboutissant, par exemple, au sac de la ville sous Charles-le-Téméraire, les 600 Franchimontois, toute l’histoire de la principauté, enfin, dans la suite des âges protestent contre ces insanités. Si M. Coremans n’avait pas eu les Liégeois en 1830, il serait peut-être encore Hollandais.