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Les faufes dè J. Lafontaine in patoès d’Chaleroèt (1872)/Préface

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PRÉFACE

L’opuscule que je me hasarde de livrer à la publicité, est un spécimen du patois de Charleroi.

Outre que cet idiome n’a jamais été écrit, sa pauvreté de mots, sa rudesse de forme, et sa platitude d’expressions, sont les obstacles que j’ai eu à combattre. Aussi j’ose espérer que le lecteur sera assez généreux, pour ne pas se poser en critique trop sévère devant ce travail sans prétention. Son originalité doit plaider en sa faveur.

Si ce patois n’a jamais été écrit il a cependant conservé jusqu’aujourd’hui le cachet de son originalité primitive : la simplicité et le burlesque. Lorsqu’on lit en effet les vieux auteurs Français, tels que Rabelais, Scarron, Montaigne, et parfois Lafontaine, on y retrouve l’esprit de notre patois. Ajoutez à cela la présence de mots originaux, dont l’étymologie serait difficile à tracer, mais qu’on retrouve parfois identiques, ou avec de l’analogie dans les langues étrangères.

Cet idiome qui caractérise les tendances actuelles de la littérature : le réalisme, est resté le jargon du peuple, jargon que l’on dédaigne, que l’on oublie, que l’on méprise même, [ viii ]parceque l’on y voit les choses appelées par leurs noms propres, sans gaze, sans détour, sans scrupule. Or, pour écrire le langage du peuple, si je puis m’exprimer ainsi, j’ai du rester dans le vrai, c’est-à-dire, m’exprimer comme lui, sans tenir compte des usages reçus, ou des expressions sanctionnées.

C’est là ce qui m’avait fait renoncer jusqu’ici à la publication de mes Poésies Wallonnes, lorsque j’appris que plusieurs villes de Belgique, notamment Liége, voyaient se créer chez elles des Sociétés Philologiques s’appliquant à l’étude des différents dialectes du wallon, et même que des philologues étrangers s’étaient joints à elles dans ces recherches qui ne sont pas sans intérêt pour la linguistique. Ces publications me déterminèrent à présenter au public un échantillon du patois de Charleroi.

Voyant du reste comment Victor Hugo a étalé et rehaussé dans ses Misérables, le mot à jamais sublime de l’immortel Cambronne, je me suis débarrassé des scrupules qui m’enchaînaient.

Quant à la manière dont mes vers sont écrits, j’ai du en improviser l’ortographe, que j’ai rapprochée le plus possible des assonnances de notre patois, qui sont parfois impossibles à rendre.

J’ai choisi les fables de Lafontaine comme principal plan de mes compositions, parceque comme je l’ai dit plus haut, il se rapproche de notre originalité, et ses fables seront toujours des leçons bienfaisantes, et des vérités incontestables pour l’humanité. En outre puisque Phèdre traduit Esope et que Lafontaine imita Phèdre, j’ai cru l’idée originale de traduire Lafontaine dans le langage du peuple, quoique sans prétention de ma part.

Je n’en ai pas reproduit toutes les fables car plusieurs nous [ ix ]offrent moins d’intérêt d’un côté, et que d’un autre les morales de plusieurs d’entre elles se ressemblent.

Tout en sollicitant donc le bon acceuil du public je pourrai cependant lui faire observer que comme Phèdre : castigo ridendo mores.

J’ai eu l’heureuse occasion de rappeler dans ces fables bon nombre de nos vieux proverbes wallons dont la simplicité et la vérité sont encore admirées tous les jours, et j’ai cherché dans ce petit livre à en perpétuer le souvenir, pour le bien de nos bonnes et généreuses populations wallonnes.

Léon BERNUS.